14.11.13

Sommeil peuplé de femmes vengeresses.

Plus rien ne se dit par ici, pourtant les découvertes sont nombreuses et enrichissent la collection de films à partager. Cette fameuse collection se liste désormais dans un grand cahier orange (moche) pour en faciliter la gestion et la mémoire. Je ne reviendrai pas sur les choses anciennes, puisqu'elles sont aujourd'hui bien trop loin de moi, loin des obsessions de ces derniers jours autour de la série de 7 films La Femme scorpion et de Koji Wakamatsu.   

Ces obsessions se sont articulées alors que je reprenais la compulsion des rape and revenge, genre comptant des productions plutôt excitantes (pas sexuellement) dans les années 70 et 80. Excitantes, parce que présentant des personnages de femmes qui pour la plupart, malgré les violences qu'elles subissent, ne se laissent pas aller à l'esclavage consenti.  
Dans les films de cette période, on peut isoler deux catégories : les films présentant des femmes se vengeant elles-mêmes, prenant les armes et tuant leur(s) agresseur(s) (la plupart du temps, les agresseurs sont plusieurs, topique de la camaraderie masculine qui me dépasse totalement, mais là n'est pas le sujet) et ceux où elles sont vengées par un frère, un petit ami, voire un père. 
La seconde catégorie m'intéresse nettement moins, puisqu'elle laisse les femmes dans un statut de proie, d'infériorité.
Dans la première catégorie, on peut lister I spit on your grave (la version de 1978), They call her on eye, A gun for Jennyfer (dont je cherche encore les sous-titres français), La Femme scorpion et par exemple, Quand l'embryon part braconner du fameux Wakamatsu, dont une bonne partie des films débute par une scène de viol. 

J'avoue être particulièrement touchée par les premiers volets de La Femme scorpion et le film de Wakamatsu parce qu'ils présentent des femmes qui vont au contact et se vengent à l'arme blanche, produisant contre l'éros non consenti, un thanatos avec proximité des corps et figure de pénétration (oui, je retournerai chez le psy, mais pas tout de suite, j'ai d'autres obsessions à cajoler). 

J'en viens à ce qui m'a exaspéré et qui va être le centre de ce billet. J'ai vu, il y a quelques jours, Descent de Talia Lugacy. Maya, une étudiante sacrément bûcheuse et bêcheuse, jouée par Rosario Dawson, rencontre un blanc bec prétentieux lors d'une soirée merdique. Il lui fait du gringue. Elle le rejette d'abord puis consent à un rendez-vous sans date déterminée. L'étudiante aurait souffert d'une précédente relation terminée en eau de boudin, ce qui la rend peu accessible et disposée à remettre ça. Mais comme le blanc bec lui fait le coup de la contemplation des étoiles et du restau chic à la con, elle finit par le suivre pour aller s'enfiler une dernière bouteille de blanc chez lui. Ils se câlinent sur le canapé. Les caresses devenant plus pressantes, la demoiselle demande une suspension. Elle n'est évidemment pas reçue et le blanc bec finit par la violer en la traitant de sale négresse. 
Maya se coupe les cheveux (on ne le voit pas à l'écran, mais je l'ai remarqué), prend un job minable pour l'été dans une boutique de fringues où elle plie des t-shirts avec grand soin. Les autres employés se fichent d'elle, devenue encore plus glaciale depuis son expérience traumatique. La nuit, elle va boire dans une boîte à cul et y fait une rencontre décisive un soir où elle termine morte bourrée. 
La rencontre décisive est un black bellâtre musculeux adepte des partenaires multiples. Il aurait pour spécificité de sauver les filles auxquelles il est arrivé des emmerdes. On nous prévient 12 fois au cas où nous, spectateurs, serions complètement cons : c'est un personnage ambivalent, bon et mauvais à la fois, complexe, pas facile... Je ne donnerai pas autant de qualificatifs que le fait le film quand bien même je reproduise succinctement la figure. 
La bêcheuse picole, prend de la coke, sa tape des types et des gonzesses (on le déduit, on ne le voit pas à l'écran, c'est un film propre). Bref, elle fait l'expérience d'une vie et d'une sexualité plus libre et comprend miraculeusement en se regardant dans la glace un lendemain de cuite que l'on peut être autre chose qu'un être contrit, pétri de conventions protestantes amerloch'. Qu'on ne s'enflamme pas, elle ne fait qu'entrer dans d'autres conventions pseudo-protestataires.
Dans tous les synopsis donnés à lire en ligne, cette période noctambule dans des lieux interlopes (pardon, les poncifs m'amusent) est décrite comme une « descente aux enfers ». C'est qu'il ne faudrait pas trop donner l'impression qu'on cautionne qu'une femme se laisse aller à une sexualité débridée sans que ce soit le revers d'un traumatisme. On sait bien que les femmes qui expérimentent librement leur sexualité sont forcément des victimes, salopes tout de même. Les femmes correctes ne font du sexe que par amour ou pour faire des enfants, c'est bien connu. 

Vient le temps de la vengeance... A la rentrée universitaire, Maya devenue assistante de l'un de ses professeurs, croise son violeur à la fac. Elle le grille ensuite trichant à un examen, ouuuuh le vilain. Elle le lui signale alors qu'il vient remettre sa copie. Lui, évidemment, relevant totalement du mal, prend cela comme des avances masquées et propose un autre rendez-vous. La tête basse et apeurée tout de même, elle consent. 
Comme tout est cousu de fil blanc, elle mène le second rendez-vous, demande au mec de se foutre à poil, lui signale sa gêne sans trop s'en amuser. Elle lui bande les yeux, le mène à la chambre où elle l'attache au lit, comme s'il s'agissait d'un jeu sexuel. Évidemment, elle l'encule avec un gode et clou de la vengeance, elle fait venir son pote sauveur des âmes perdues pour qu'il viole le violeur. Elle pleure. Oui, elle pleure. Elle tourne le dos à la scène et chouine, sur ce qui lui est arrivé, sur ce qui arrive à son violeur, c'est trouble. Bouhouhou, que c'est trouble. Et voilà, générique de fin. 

Vous l'aurez compris, ce film a exaspéré mon vieux fond de féministe non encartée. Il y a là-dedans de la bonne vieille morale à papa du début du siècle dernier qui revient abominablement dans la bouche, les représentations des femmes du début de ce siècle-ci. Parce qu'il s'agit de le remarquer, ce film est réalisé par une femme en 2007. Et insidieusement, elle nous montre combien il s'agit de consentir encore à la protection masculine, à une morale merdique régissant la sexualité. Et surtout, on ne se venge plus à l'aveugle en tuant, sous le coup de la saine et sainte colère. On se vengeouille en reproduisant le schéma du bourreau et culpabilisant presque de le faire, parce que la vengeance, c'est mal.
Ce qui me rassure, c'est qu'aujourd'hui, sale époque où l'on propose aux femmes des vêtements anti-viol, dans la vraie vie, je sais qu'existe une Diane qui porte perruque et vêtements noirs pour aller venger ses consœurs violées par des chauffeurs de bus mexicains. Chaque fois que je pense à elle, j'espère qu'elle est encore libre et que les flics ne la choperont jamais.